De l’argument de vente publicitaire à l’éthogramme humain : pourquoi le zoo attire

La France, à l’heure de l’été; se pare de publicités estivales et ce dès le moi de Mai ; et ce sont, en grande partie, des publicités pour des parcs à thème et, on l’aura deviné, de zoos et d’autres aquariums.

Dans un pays pourvu de presque 300 parcs animaliers, la concurrence est rude, et la promesse de tel ou tel animal ou de ce bien être comparé à un autre se multiplient sur les affiches au bord de la route, du métro, des journaux ou même d’Internet.

Prenons quelques exemples qui m’ont particulièrement choqués. Au début de Mai, ma station de train habituelle arbore une séries d’affiches toutes à la gloire du zooparc de Beauval. Si je me souviens bien, une affiche montre un panda avec la phrase “je suis la star de Beauval !” À côté, une autre affiche avec un koala qui dit quelque chose du type “moi aussi je suis mignon”. Puis une troisième avec un gorille à l’air imposant, presque menaçant, disant “il n’y a pas que des pandas à Beauval”
Quelques stations avant, une affiche sur un bâtiment montre une vieille photo d’une peau de tigre tendue par un braconnier asiatique, avec le titre “ici nous sommes protégés”. Le lieu ? Le parc aux félins.
J’ouvre internet, je vais sur divers sites et la même pub changeante s’affiche : des dauphins sautant dans une piscine chlorée et un titre ventant les mérites du zoo de port saint père.
Un ou deux mois plus tard, le métro parisien est plein d’une large affiche divisée en trois parties d’une orque admiré par une petite fille captivée (c’est le mot !). Les coupables ? Le marineland d’antibes bien sûr; et ce ne sont là que quatre malheureux exemples.

Que peut t-on en déduire ? Beaucoup de choses.

D’abord, sur la valeur des zoos comme capable de grandement attirer du public. Le zoo attire, l’animal attire, et les cétacés encore plus que la moyenne. Je reparlerai de cette étrange exception ailleurs ailleurs.
Nous le constatons : les animaux ont toujours été l’objet d’une fascination pour l’homme. Il faut constater de même le degré de cette attirance, pour comprendre le succès des zoos et autres établissements de ce type. Un parc à thème doté d’animaux sauvages aura très souvent une supériorité sur un qui en est dépourvu. C’est un gros argument de vente ; et certains animaux vendent plus que d’autres. Le panda, le koala sont vus comme “mignon” ; donc, ils vendent considérablement, sans parler de leur aspect rare, atypique qui vaux encore plus la chandelle. Quant au gorille, son air menaçant, que la publicité de Beauval a bien mise en avant, fait aussi l’objet d’une fascination ; comme si finalement l’exagération anthropomorphique de l’animal, en plus de leur exotisme, leur différence, créait une véritable fascination en l’homme.

Il faut aller, (encore !) vers l’éthologie pour comprendre tout cela ; mais cette fois pas chez les autres mais chez nous.

D’abord, il y a, bien sûr, l’exotisme, la différence, l’étrangeté. L’animal ne nous ressemble pas, il nous est opposé. Il possède des formes étranges, des couleurs uniques, chatoyantes, des comportements qui nous sont étrangers. Les animaux sont, pour nous, de véritables bombes à stimuli, et ce d’autant plus qu’ils sont vivants, mouvant, que nous sommes en leur présence même et que nous sommes en rapport avec ; les zoos ne sont pas plein d’animaux empaillés ; l’intérêt est de le voir vivant, d’avoir des sensations par apport à l’animal vivant ; seul l’animal vivant est “vrai” ; un vrai tigre, un vrai éléphant.

Nous autres, humains, nous sommes des espèces dites généralistes, des spécialistes de la non spécialisation comme disait Lorenz ; nous nécessitons constamment un influx de stimuli différents ; et pas que des simples stimuli nécessaires à l’enclenchement de certains mouvements instinctifs, pour continuer à être actif, non apathique ; c’est là une partie fondamentale de notre bien être. Nous opposons un monde “morne et gris” ennuyeux à un monde “vif, mouvant et coloré” actif ; ce n’est pas pour rien. Or, les animaux ne sont que cela à l’état pur. De plus, ils sont un miroir déformés de nous même ; ils sont comme nous sans l’être, ils sont comme des caricatures ; nous sommes peut être en un sens choqués de voir des êtres vivants tout comme nous ne pas être comme nous, que ce soit physiquement que psychologiquement. Ce choc, “ceci n’est pas humain tout en l’étant” (parce que nous reconnaissons a priori des traits de l’humanité, tel le visage ou dans le comportement dit rationnel ou émotif, que nous ne trouvons pas chez l’animal, des comportements qui nous paraissent exagérés, tel lors de l’agression ou l’accouplement ; (car nous n’admettons pas chez nous ce côté bestial ?) et parce que nous reconnaissons en même temps chez les animaux leur caractère vivant, fait de corps et d’esprit, que nous possédons et que nous utilisons comme base pour dire “ceci est humain” avant l’humanité même) plus le fait qu’ils nous donnent autant de stimuli garantit les sensations fortes. Or le zoo, c’est le concentré de sensations fortes de toutes sortes. Tous ces animaux vivants et à notre porté, à celle de nos caprices, humeurs et passions.
Il faut aussi noter que si le zoo attire autant les enfants, c’est tout simplement parce que naturellement, les petits des espèces généralistes sont plus réceptifs aux stimuli externes que les adultes ; les enfants ont encore plus besoin du bouillon perceptif et sont encore plus attirés par ce qui est plein de stimuli que la phase adulte. Ce trait éthologique est nécessaire à l’établissement de l’apprentissage dans les premières temps de l’existence, et il est chez l’homme, on l’aura deviné particulièrement développé.

Mais il n’y a pas que cela.

Il y a chez l’homme des expressions du visage qui, comme Lorenz l’a démontré, sont innées, autant dans leur expression que dans leur reconnaissance – et même si la culture peut modifier (lors de l’expression même, de façon non définitive) une partie de celle ci par l’apprentissage (par exemple le salut qui, si il est instinctivement qu’un bref hochement de tête, peut se présenter selon les cultures de très nombreuses façons différentes), ces expressions sont reconnues a priori par l’esprit humain. Les animaux n’ont en général pas d’expression, ou pas les même, et c’est en fait cela qui devrait être qualifié d’anthropomorphisme, et non beaucoup de traits du comportement qui sont bien communs avec les humains (tel la capacité à ressentir, à comprendre ou à juger, par exemple) et que beaucoup d’anthropocentristes qualifient systématiquement d’anthropomorphisme sans le vérifier avec plus de détail ; mais c’est là une autre histoire.

Il y a aussi, en éthologie un autre phénomène. Si un certain schème perceptif provoque en nous une réaction instinctive, l’exagération de celui ci créera une réaction conséquente encore plus grande. Ainsi, une espèce d’oiseau peut se mettre à couver un oeuf seulement parce que celui ci possède une certaine taille, motif et couleur propre à l’espèce ; ce qui le différencie d’autres oeufs d’autres espèces par exemple ; on voit l’intérêt de ce dispositif pour la sélection naturelle. Mais si un objet X exagère ces caractéristiques ; tel un leurre imitant cet oeuf, donc non seulement la taille mais aussi la distribution ou la taille des motifs et couleurs, alors l’oiseau sera encore plus “attiré” par l’oeuf et cherchera compulsivement à le couver, même si le vrai oeuf normal lui est présenté.

Or, l’homme ne fait pas exception à cette règle universelle du comportement animal. Et il serait alors logique de penser que si une exagération de ces schèmes des expressions du visage ou corporelles reconnues a priori par l’homme lui est présenté, celui si réagira d’une façon encore plus intense que d’habitude. Or, les animaux présentent souvent ces exagérations anthropomorphiques ; l’aigle à l’air fier, le dauphin sourit et à l’air mignon et sympathique, le gorille à l’air menaçant. Ceci s’explique dans les détails par des traits morphologiques reproduisant notre propre schème de reconnaissance des expressions faciales dont il est long ici d’expliquer mais qui ont été bien décrits par Konrad Lorenz (par exemple en déconstruisant l’air fier de l’aigle et celui, méprisant (quoique il m’ai l’air plus bête que méprisant !) du chameau).

Mais il n’y a pas que la reconnaissance des expressions ; l’homme possède aussi une reconnaissance schématique a priori de ce que l’on pourrait appeler le “mignon” ; ou l’instinct de protection des petits ; tout ce qui a des grands yeux noirs, un grand front, des formes rondes et courbes et des membres proportionnellement plus petits, ainsi qu’une tendance à être maladroit lorsque celui ci marche par exemple créera en nous une réaction de “mignon” spontanée. Ceci a été programmé pour nos propres petits mais beaucoup d’animaux, notamment domestiques (ils ont été sélectionnés dans cette voie !) reproduisent ce schème ; on devine que le panda comme le koala tombent dans cet ordre de fait. Quoique le panda est un cas particulier : le plaisir est peut être aussi créé par le contraste entre son air imposant et son air mignon, peut être le premier met t-il en valeur l’autre par contraste ; le panda est ce “nounours géant”, le “voisin Totoro” que tout le monde voudrait embrasser et avoir chez soi. Sans parler du fait que son statut de symbole des espèce menacées le rend encore plus sympathique mais aussi “mignon” ; on protège d’autant plus que celui ci à l’air menacé et pitoyable…

Il se peut aussi que des instincts exogènes liés à la reconnaissance d’autres animaux joue un rôle. Il est très probable que nous possédions une reconnaissance instinctive des crocs et de la denture, et un schème général de ce que l’on voit de la gueule ; des animaux carnivores lorsque ceux ci ont l’air menaçant (étrangement, moins à cause de leur caractéristique de prédateur que simplement pour reconnaitre lorsque ceux ci sont agressif et qu’il faut partir ; la denture n’est montré par les mammifères que lors d’un signal d’attaque, tandis que le prédateur n’attaque que discrètement et généralement par derrière. Ceci à une certaine logique quand on sait qu’un animal montrera un signal d’agression à n’importe lequel perçu comme un concurrent, et l’homme est un généraliste) qui provoquent en nous une certaine peur ; et des animaux exprimant au plus haut point cet instinct, par exemple un tigre en phase d’agression peuvent créer des réactions émotives aussi fortes, sinon plus, que n’importe quelle montagne russe.

Ainsi, notre attirance pour les animaux s’explique aussi par les sensations fortes engendrées par l’exagération présentée par ceci ; tel animal à l’air si menaçant, tel autre si mignon, tel autre si fier et majestueux etc.

Ensuite, sur les arguments utilisés par les zoos pour exister. Le zoo doit se défendre; a priori, maintenir captif n’est pas bien vu ; mais des arguments solides, qui feront l’objet d’un autre article, empêchent la majorité de remettre complètement en cause cette industrie du loisir. L’idée que les animaux captifs sont saufs des dangers extérieurs et que cela justifie leur mise en captivité ; argument particulièrement pervers et aberrant (il est directement en référence aux réfutations des activistes) dans le cas de la publicité citée au dessus, en est un exemple. En fait, ces arguments s’appuient surtout sur des idées sur le comportement animal partagées par le plus grand nombre et qu’il est nécessaire de reverser pour comprendre le fondement du problème de la captivité animale.

Il faut distinguer les arguments “internes” utilisant le comportement animal pour justifier ceux ci, arguments aisément reversés par la théorie éthologique, centre de mon propre travail d’activiste mais malheureusement encore très peu usités par la majorité de mes compères, et les arguments “externes” plus terre à terre et complexes, qui insistent sur le problème du contexte et la nécessité due à des situations particulières, par exemple si un animal est blessé de façon irréversible ou si celui ci est en marge de l’extinction et ce lorsque les facteurs de cette extinction sont toujours présents dans la nature ; justifiant la captivité plutôt que la liberté. Ceux ci nécessitent une connaissance de terrain, mais il faut tout de même insister sur un point : l’optimisme comme fil directeur, lorsque celui ci est sage et mesuré et non simplement aveuglant, devrait être une priorité ; c’est à dire qu’il faut considérer toutes les cartes du jeu, analyser la totalité du problème et pas seulement s’axer vers une idée pessimiste du problème, notamment par peur de ne jamais trouver une solution, de “ramer” à l’infini ; de se confronter à des problèmes trop complexes ou encore par crainte de ne pas être un professeur nimbus utopiste n’aillant pas d’yeux sur la réalité. L’idéal est par lui même ce qu’il faut viser, même si jamais nous n’y arriverons ; nous tendons vers celui ci et c’est ce qui nous permet d’arriver jusqu’au meilleur point possible considérant la situation donnée. S’adapter aux situations, c’est s’adapter aussi à ce qui pourrait potentiellement être réversible mais dont la réversibilité n’est pas prise en conte par diverses peurs ou refus mentaux.

Finalement, comment seulement contrer, en tant qu’activistes, l’influence de ces établissements étant donné le degré de communicabilité de ceux ci ? On se sent, et pas à tort, submergés par la présence de ces lieux ; justement puisque ceux ci ont un pouvoir de fascination, renforcé par des arguments qu’ils nous faut remettre en cause, et qui leur permet d’occuper une niche conséquente dans l’industrie du loisir ; notamment, on l’aura vu, estivale. Il faut savoir ce qui se cache derrière ces affiches ; décortiquer ce qui fait qu’un zoo, ou n’importe quel lieu utilisant des animaux sauvage captifs attire. En comprenons mieux nos adversaires, nous nous comprenons aussi mieux nous même, et comment traiter cette question au grand public. Mais ce n’est là qu’une partie du grand problème de la captivité animale.

Publié le: 
09/08/2013